La Méditerranée, "nouveau site industriel"

Publié le par nongazdeschisteinfos

La Méditerranée, "nouveau site industriel" ?

Un "fantasme" répond l'Etat

La discrète création d'une zone économique exclusive face aux côtes provençales alimente les craintes d'une perte de protection de la Méditerranée, au profit d'une exploitation pétrolière. Des inquiétudes que l'Etat s'emploie à lever.

Le décret est paru sans tambours ni cornes de brume au journal officiel du 14 octobre 2012 [Décret n° 2012-1148 du 12 octobre 2012 portant création d'une zone économique exclusive au large des côtes du territoire de la République en Méditerranée ]  : la "création d'une zone économique exclusive au large des côtes du territoire de la République en Méditerranée". Forcément, dit comme ça, pas de quoi passionner les foules. Hormis des reprises très factuelles sur des sites spécialisés [1], l'information n'a d'ailleurs eu que peu d'écho immédiat.

Mais elle n'a pas tardé à revenir aux oreilles d'écologistes militants contre le permis de recherche d'hydrocarbures Rhône-Maritime. Début novembre, RTL reprenait leur alerte, évoquant cet "étrange décret" [2] entre deux explications sur les conséquences possibles d'une marée noire sur les côtes provençales. Dans une tribune publiée sur Slate, [3] la juriste Danièle Favari pose clairement la question de ce passage, avec un périmètre identique, d'une zone de protection écologique (ZPE) à une zone économique exclusive (ZEE) : "La Méditerranée, réserve halieutique ou nouveau site industriel français".

plate-forme_mars-actu.jpgCar voici ce que la convention internationale de Montego Bay [4], qui régit le droit des ZEE, garantit à l'Etat sur le périmètre qu'il institue :

"Des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu'en ce qui concerne d'autres activités tendant à l'exploration et à l'exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d'énergie à partir de l'eau, des courants et des vents." 


Cette création n'a pas pour effet de modifier ces droits et si elle permet de renforcer la capacité à lutter contre toutes les formes de pollutions, une transformation en ZEE pose le problème de l'autorisation d'activités pouvant porter atteinte à l'environnement. 


Dans son bureau de la Préfecture maritime de Toulon, le commissaire général Hervé Parlange, chargé de l'action de l'Etat en mer, a bien entendu vu l'article. Il l'a même imprimé en vue de l'entretien qu'il a accordé à Marsactu. "La ZEE a suscité énormément d'inquiétudes", reconnaît-il. Pourquoi ne pas avoir communiqué sur le sujet en amont, voire directement après la parution ? Car la Préfecture maritime et son habitude du droit de la mer n'avait pas anticipé qu'il pouvait s'agir d'une "question sensible", justifie-t-il.

Dans une question écrite adressée à la ministre du Développement durable, le député Europe Ecologie-Les Verts François-Michel Lambert souligne "l'absence de concertation avec les parties prenantes et notamment les élus régionaux [qui] nécessite une précision de la part du Gouvernement".

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Subsidiairement, en effet, alors qu’a été promulguée  [Journal officiel   du 28 décembre 2012] la Loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement,  il convient de rappeler que la promulgation de ce décret n’a pas satisfait aux dispositions del’article premier de la Convention d’Aarhus [5] (transposée par le Décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002) selon lequel : « Afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien_être, chaque Partie garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement, de participation du public au processus conformément aux dispositions de la présente Convention », ni à l’article 7 de la Charte de l’environnement qui énonce : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement », ni qu’il ait été procédé  à la moindre concertation préalable avec les états riverains et concernés.


Il n'y a pas que les élus locaux qui ont été tenus à l'écart : le décret s'est fait sans accord préalable des pays voisins, Espagne, Italie et Monaco. Or, dans la très exiguë Méditerranée, la question des frontières est omniprésente.


Le "Sanctuaire Pelagos"résulte d’un accord signé à Bruxelles - en Novembre 1993 – entre les Ministères de l'Environnement de la France et de l'Italie et le Ministère d'Etat de la Principauté de Monaco.


(voir cette carte des Échos qui résume très bien le chevauchement des zones).

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"C'est un peu cavalier comme façon de faire, même si elle reprend les contours de la ZPE, qui avaient été discutés précédemment", commente Anne-Lise Muller, chargée de mission mer à l'Union régionale vie et nature (URVN). "La France est un pays respecteux de ses voisins, l'article 2 prévoit que les limites pourront être modifiées. Si un Etat n'est pas content, on en discute", répond Hervé Parlange.

Déminage

En tout cas, au vu de la tournure prise par le dossier, préfectures terrestre et maritime ont tenté un déminage - le 11 décembre au conseil maritime de façade -  une sorte de Parlement de la mer qui rassemble Etat, collectivités, associations environnementales et professionnelles. A posteriori, Hervé Parlange dit très bien comprendre les raisons de l'inquiétude :

"Quand vous dites "j'arrête la ZPE, je fais une ZEE", la réaction épidermique est de dire que l'on passe d'une logique de protection écologique à celle d'une exploitation économique"

Quelles sont alors les véritables intentions de l'Etat ? "Tout d'abord, la mesure est prévue de longue date", rappelle-t-il : elle avait été annoncée par Jean-Louis Borloo à Cassis à l'été 2009, suite à une recommandation issue du Grenelle de la mer. [en août 2009 par Jean-Louis Borloo, alors Ministre de l'Ecologie, comme un engagement du Grenelle de la mer, comme moyen d’action contre la pêche intensive] Quant à l'intérêt de la mesure, le militaire précise que "tous les avantages liés à la ZPE se retrouvent dans la ZEE".  A savoir principalement poursuivre les navires auteurs de pollution maritime, ce qui a donné lieu à plusieurs lourdes condamnations ces derniers mois.


Mais, alors que l'objectif d'une ZPE est la mise en oeuvre de la protection et la préservation du milieu marin (Partie XII de la Convention des Nations-Unies pour le droit de la mer), la création d’une ZEE pose donc même le problème de l’autorisation d’activités pouvant porter atteinte à l’environnement ?

En effet, la nouvelle Zone Economique Exclusive est donc régie par la Convention de Montego Bay et autorise désormais (articles 56 et suivants) « la circulation des navires » « la pose de câbles ou des pipelines sous-marins » ainsi que "d'autres activités tendant à l'exploration et à l'exploitation de cette zone maritime à des fins économiques » « de toutes les ressources minérales solides, liquides ou gazeuses in situ » (article 133) et de la production d'énergie à partir de l'eau, des courants et des vents" ainsi que la mise en place "d’ îles artificielles et autres installations ou ouvrages, et  le droit exclusif pour l’état côtier « d'autoriser et de réglementer les forages sur le plateau continental, quelles qu'en soient les fins » ainsi que l’installation d’éoliennes.

Le plan stratégique pour encourager le développement des énergies marines qui vient d’être décidé afin d’« amplifier et accélérer le soutien de l'Etat à cette nouvelle filière industrielle (gisement hydrolien et éolien off-shore) dont le débat sur la transition énergétique, qui a débuté en décembre 2012, pourra notamment aider à déterminer les zones possibles pour le développement de ces énergies, et définir un objectif national pour leur contribution à la production d'électricité »  fait perdurer la crainte de voir ces zones se situer dans ce qui fût la ZPE.


Renforcer les contrôles sur la pêche

Selon Hervé Parlange, l'intérêt supplémentaire est notamment de "protéger la biodiversité en appliquant la réglementation européenne sur la pêche". Un exemple simple. "Si du thon rouge est capturé par un navire battant pavillon européen, l'agence européenne de contrôle des pêches va pouvoir intervenir, même en haute mer". Impossible en revanche d'opérer un contrôle si le navire relève d'un autre Etat, sauf que "si cela se passe dans la ZEE, là on va pouvoir intervenir, demander le permis et éventuellement le dérouter vers un port français et faire payer une amende". "Ça c'est sur le papier, c'est toujours tributaire des moyens, commente Didier Réault (UMP), pas franchement convaincu par la présentation au conseil maritime de façade, où il siège en tant que conseiller municipal de Marseille délégué à la mer. Quand on voit comment le parc national est doté... Je crois qu'on n'aura rien de plus et que cela ouvre à terme des possibilités pour des activités économiques", poursuit ce candidat à la présidence du parc des Calanques.

"Imaginons que l'on trouve du pétrole"

A l'URVN, Anne-Lise Muller souligne l'ambivalence de la mesure : "C'est une protection supplémentaire car la France aura des prérogatives, les privés ne pourront pas faire ce qu'ils veulent". En clair, lance Hervé Parlange, "dans une ZEE, vous pouvez autoriser des éoliennes en mer, des forages pétroliers, mais également les interdire". 


Concernant la réglementation pour les forages pétroliers off-shore, le CESE estime – dans un avis adopté le 13 mars 2012 -  que la France est dotée « d’un cadre juridique complexe, incomplet et ambigu » et «qu’un système exigeant tel que celui des ICPE devrait être appliqué en séparant le pouvoir d’autorisation des permis de forage avec celui du contrôle et du suivi. » Par un communiqué d’octobre 2012, la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie a estimé que les compagnies pétrolières et gazières en mer devraient prouver disposer de fonds suffisants - lors d’une demande de permis – pour réparer tout dommage éventuel causé à l’environnement. Un projet de loi, approuvé par 48 voix POUR, remplacerait la mosaïque de lois actuelles et les pratiques liées aux activités de forage en mer des Etats membres avec pour objectif d’empêcher des accidents tels celui de  Deep Water Horizon. [6] 


Mais s'il tient à balayer le "fantasme du golfe du Mexique avec des plate-forme pétrolières partout", il ne ferme pas totalement la porte : "Imaginons que l'on trouve du pétrole. L'exploitation, le droit du travail se feront selon le droit français. On a les coudées beaucoup plus franches". Comme le résume Anne-Lise Muller, "cela dépendra du bon vouloir de l'Etat, selon qu'il ait vraiment envie de protéger la Méditerranée, ou qu'il dise « on exploite le pétrole »." Un bon vouloir que l'on espère agrémenté d'une dose de débat public, totalement occulté pour le permis Rhône-Maritime comme pour d'autres.


Le permis « Rhône Maritime » est toujours en cours de validité, puisque le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la demande de prolongation (formulée par le titulaire le 15 juillet 2010, sans que cette situation ne l’empêche de poursuivre ses travaux exploratoires) en 2ème période pour une durée de 5 ans. Bien plus, une fusion-absorption , le 10 octobre 2012, de Melrose Mediterranean Ltd,  titulaire de 72,5% des parts du permis par Petroceltic fait craindre des pressions de la part de ce nouvel opérateur. Si l'exploitation est envisagée, les plus grandes précautions s'imposent pour éviter les risques d’accidents,  même si  le protocole off-shore à la Convention de Barcelone offre un cadre juridique sécurisé à l’exploitation de pétrole et qu’il soit en cours de ratification par l’UE.


Par Julien Vinzent, le 14 janvier 2013

http://www.marsactu.fr/environnement/la-mediterranee-nouveau-site-industriel-un-fantasme-repond-letat-30006.html


©  tous droits réservés, danièle favari.

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[1] http://www.actu-environnement.com/ae/news/Mediterrane-zone-economique-exclusive-creation-decret-16794.php4

[2] Virginie Garin : « C’est notre planète » sur RTL.fr

[3] http://www.slate.fr/tribune/65407/mediterranee-reserve-halieutique-site-industriel 

[4] – Convention de « Montego Bay » ou Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) signée à Montego Bay. Son entrée en vigueur n’intervient qu’en novembre 1994, après un amendement en profondeur des dispositions les plus contestées par les pays industrialisés par l’accord du 29 juillet 1994. La France ratifie la convention en 1996.

[5] - Convention sur l'accès a l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès a la justice en matière d'environnement, signée le 25 juin 1998, à Aarhus au Danemark par 39 États 

[6] http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20121008IPR53115/html/P%C3%A9trolegaz-en-mer-pas-de-permis-de-forage-sans-plan-d%27intervention-d%27urgence

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